samedi 18 juillet 2015

Jacques Halbronn Le Vav conversif en hébreu et la question des noms propres des hommes et des dieux

Problémes de traduction de l'hebreu du fait du Vav  conversif

par Jacques Halbronn

Une des différences majeures entre hébreu biblique et hébreu moderne tient à la fonction du Vav  conversif dont le principe est le suivant: la lettre Vav placée devant un futur en fait un passé et placée devant un passé en fait un futur. Cela pose des problémes de traduction notamment en ce qui concerne les prénoms et leur étymologie.

Un des cas les plus remarquables est probablement le prénom du fils d'Abraham : Isaac (Yitshaq). Comment traduire ce prénom en français? Cetains proposent le futur alors que pour nous, c'est très certainement un passé, pourvu que l'on prenne la peine de se situer dans le bon contexte. Dans genése XVII, 17 on lit Abraham tomba sur sa face et sourit (sic) trad du Rabbinat qui préfére rendre tshq par sourire au lieu de rire, ce qui évite le rapprochement avec ce qui est dit d’Isaac : Dès Genése XVII, 19, on lit à propos du fils : « tu le nommeras Isaac ». Il ne saurait être question de dissocier le nom du fils Ytshaq du fait que son père a ri, Veyitshaq. Etrangement, on se référe le plus souvent au rire de Sarah qui se manifeste un peu plus bas : et qui est cette fois au féminin puisque le sujet est une femme : Vatitshaq et non plus Vayitshaq. XVIII. 12. (cf Ancien Testament Interlinéaire hébreu-français. Alliance Biblique Universelle, 2007)

Comment donc traduite le prénom Isaac . Le texte biblique ne s’en explique pas directement mais le contexte nous conduit à un rapprochement avec ce qui s’est passé juste avant. Il faudrait donc traduire ce prénom par « il a ri », sous entendu « son père, Abraham, a ri » et le moins que l’on puisse dire, c’est que la traduction du rabbinat ne nous y aide pas et ne garde le verbe « rire » qu’à propos de Sarah alors que c’est le même verbe qui aura d’abord servi pour Abraham, quelques lignes plus haut. Certes, on peut vouloir s’en tenir à la traduction littérale sans sous entendu mais ce serait là commettre un contre-sens. On peut aussi vouloir rétablir le Vav et dira que le fils d’Abraham et de Sarah se nomme « Vayitshaq » !

Quels enseignements tirer de ces observations ? Qu’il existe d’autres cas de ce genre où le futur n’est en fait qu’un passé et cela vaut pour nombre de nom débutant par un Iod, souvent rendu par un I, un J ou un Y. Le futur n’est selon nous guère de mise car cela évoque un passé à commencer par Israël. Génése XXXII, 29 : s’adressant à Jacob : « ton nom sera Israel car tu as lutté avec Dieu. » Cette fois, l’explication du prénom qui manquait- si l’on veut- pour Yitshaq est fournie directement mais l’on peut penser qu’elle devait avoir aussi figurer initialement pour Yitshaq.C’est donc à une révision de toute une série de prénoms hébraïques que nous invitons qu’il convient de traduire par un passé et non par un futur, ce qui leur enléve de leur dimension prophétique pour ne plus concerner que des faits déjà accomplis.

Mais on peut aller plus loin et se demander si cela fait sens de nommer Yitshaq le fils d’Abram/Abraham et de Sarah/Saraï. Surtout si l’on compare avec le nom du premier fils d’Abraham (avec Agar), Ismaël, lequel nom signifie selon le même principe non pas il entendra mais il a entendu. Dieu a entendu, ce qui a quand même une autre allure que Il a ri

Genése XVI, 11 :

A Abram :ton fils se nommera « Ismaël parce que Dieu a entendu ton affliction ». Entendu : Shama. Il n’y a pas ici de vav renversif comme dans le prénom mais un verbe au passé. On a donc là trois prénoms Yitshaq, Israel et Ismael qui correspondent à trois verbes qui en sont la clef si ce n’est que dans le cas de Yitshaq, le prénom ainsi proposé semble assez dérisoire, c’est le cas de le dire. On peut se demander si ce prénom n’a pas été proposé ultérieurement en raison d’une lacune du texte biblique dans un souci de parallélisme. Ce qui voudrait dire que l’on ne connaitrait pas le vrai nom du fils d’Abraham et de Sarah.

Un autre cas, particulièrement célébre concerne le nom même du dieu d’Israël, à savoir le tétragramme qui commence également par un Iod, soit un marqueur de la troisiéme personne du singulier au futur mais devenant un passé s’il y a un vav renversif.

Or, les toutes premières phrases du livre de la Genése comportent la forme « Vayehi » compatible avec le Youd Hé Vab Hé d’autant que la plupart des commentateurs rapprochent le tétragramme du verbe être en hébreu.

Genése I, 3 : Dieu dit « Que la lumière soit » Et la lumière fut » Yehi Or Vayehi Or. (Fiat Lux) Le premier Yehi Or est un impératif, le second un constat de ce qui a eu lieu.

On peut se demander si l’origine du tétragramme donc du nom de ce dieu d’Israel n’est pas dans ce passage de la Création où l’on trouve déjà Elohim pour désigner le dit dieu. Vayomer Elohim : Et Dieu dit . Une fois de plus un vav renversif : Vayomer : « et il a dit « alors que l’on a affaire à un futur précédé de la lettre Vav. Il semble d’ailleurs que l’on devrait utiliser la conjonction « et » puisqu’il s’agit du vav renversif. Mais pourquoi si l’on dispose de Elohim faudrait-il que l’on ait aussi le tétragramme ? Par ailleurs, le pluriel Elohim devrait correspondre à un tétragramme également au pluriel. Or, la troisiéme personne en hébreu au futur commence par un yod tant au singulier qu’au pluriel. On pourrait donc prononcer « Yahou » le tétragramme, le « hou » étant la marque de la troisiéme personne du pluriel tant au passé qu’au futur, d’ailleurs. D’autant que les Juifs lisent le tétragramme par une forme de substitution « Adonay » qui est également un pluriel et qui signifie « mes seigneurs ». On ne peut donc dire que le tétragramme ne figure pas dans le premier chapitre de la Génése dès lors que l’on trouve « Yehi » qui en serait la clef.

Ajoutons que l'usage du tétragramme n'est jamais vraiment explicité alors qu'il est récurrent. On n'en trouve un semblant d'explication dans le Livre de l'Exode (III, 15) lors de la rencontre du dieu des Hébreux avec Moïse lequel demande sous quel nom présenter le dit dieu à son peuple (celui de Moïse et celui de ce dieu) . Il lui est répondu. Tu diras "le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob m'envoie vers vous". Tel est mon nom est-il ajouté. Mais un peu plus haut on a une autre version (Exode III, 14) : dis leur " C'est l'Etre invariable qui m'a délégué auprès de vous". Ce qui donne en hébreu "Ehyé asher Ehyé", soit le verbe être à la première personne. Le aleph ici a remplacé le Yod et cette fois on n'est plus au passé mais au présent aussi bien qu'au futur de la première personne du singulier. Ce n'est donc pas ici un pluriel! D'ailleurs, on notera que la forme Yod n'est jamais utilisée quand c'est le dieu d'Israel qui parle mais uniquement quand on parle de lui. Autrement dit, jamais ce dieu ne se présente comme se nommant à la troisiéme personne, que ce soit du singulier ou du pluriel. Le tétragramme Iod Hé Vav Hé n'aura donc jamais été explicité, il est la conjugaison à la troisiéme personne d'une forme à la première personne dont on ne trouve qu'une seule occurence et ce passage est suivi d'un autre où il est demandé à Moïse de présenter ce dieu comme celui d'Abraham, d'Isaac et Jacob, c'est à dire en se référant à une précédente alliance marquée par la circoncision alors que l'alliance avec Moïse, comme il est indiqué dans le décalogue, concerne le respect hébdomadaire du Shabbat. On notera que tant la circoncision que le Shabbat s'articulent autour du 7.


JHB
18 07. 15
PS  Récemment, lors de la journée du CRIF du Ier  novembre 2015, le  grand rabbin de France, Haim  Korsia,   a déclaré que Yitshaq signifiait "il rira". Nous ne le suivrons pas pas plus que Israel ne saurait désigner un futur. Il est clair que le vav conversif   n'est pas maintenu pour les noms propres et qu'il s'agit bien de noms qui évoquent des actes passés:  il a ri, il a combattu etc.  Il est certes tentant d'instrumentalisre ces cas particuliers pour  traiter du futur  et  nous savons à quel point  cette tentation existe dans le Midrash  (cf notre ouvrage Le Monde Juif et l'Astrologie. Histoire d'un vieux couple, Milan, Ed. Arché, 1985)

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