mardi 1 août 2017

Nicolas Senéze Le tétramorphe











Le tétramorphe


Fréquentes dans l'art chrétien pour représenter les quatre évangélistes, les figures de l'homme, du lion, du taureau et de l'aigle trouvent leur origine dans un passage de l'Apocalypse


De quoi s'agit-il ?

L'homme ailé, le lion, le taureau et l'aigle, fréquemment représentés sur les tympans des églises, décorant les colonnes des basiliques ou figurant dans les enluminures des anciens missels, trouvent leur origine dans un passage du chapitre 4 du Livre de l'Apocalypse, quand Jean a la vision du trône céleste: « Au milieu, autour du trône, quatre vivants, ayant des yeux innombrables en avant et en arrière. Le premier vivant ressemble à un lion, le deuxième vivant ressemble à un jeune taureau, le troisième vivant a comme un visage d'homme, le quatrième vivant ressemble à un aigle en plein vol. Les quatre vivants ont chacun six ailes, avec des yeux innombrables tout autour et au-dedans. Jour et nuit, ils ne cessent de dire: “Saint! Saint! Saint, le Seigneur Dieu, le souverain de l'univers, celui qui était, qui est et qui vient” » (Ap 4, 6-8).
Cette vision fera ensuite florès dans l'art chrétien, et sera souvent reprise, notamment autour des représentations du Christ, justement pour souligner sa royauté divine.

Quelle est leur origine ?

Pour les spécialistes de la Bible, l'auteur de l'Apocalypse fait clairement référence à un passage du prophète Ézékiel qu'il adapte à sa manière. Dans ce classique de la littérature apocalyptique, le prophète a la vision de « quatre vivants » ayant « forme humaine »: « Ils avaient chacun quatre faces et chacun quatre ailes. Leurs jambes étaient droites; leurs pieds, pareils aux sabots d'un veau, étincelaient comme scintille le bronze poli. (…) La forme de leurs visages, c'était visage d'homme et, vers la droite, visage de lion pour tous les quatre, visage de taureau à gauche pour tous les quatre, et visage d'aigle pour tous les quatre. Leurs ailes étaient déployées vers le haut; deux se rejoignaient l'une l'autre, et deux couvraient leur corps » (Ez 1, 5-11).
Mais Ézéchiel lui-même puise à d'autres sources. En Égypte, plusieurs temples représentent quatre « gardiens du créateur ». Chargés de constituer un rempart vivant autour de la demeure de Rê, ils ont l'apparence d'un rapace, d'un lion, d'un serpent et d'un taureau. On retrouve aussi ce symbolisme dans la figure du sphinx, animal mythique au corps de lion et à la tête humaine (mais parfois aussi de faucon ou de bélier…).
Toutefois, c'est probablement en Mésopotamie, où Ézéchiel prêche au début du VIe siècle av. J.-C. auprès des exilés juifs de Babylone, qu'il faut trouver l'origine des quatre vivants. Le panthéon assyro-babylonien comporte en effet des demi-dieux, les kéroubs, gardiens des villes et des palais et munis de nombreuses ailes (ainsi les monumentaux taureaux de Khorsabad visibles au Louvre). Ces demi-dieux étaient représentés dans quatre constellations diamétralement opposées dans le ciel babylonien: le Lion (sud), le Taureau (est), l'Aigle (ouest) et le Scorpion (en fait, l'Homme-Scorpion, au nord)…
Ces kéroubs seront repris dans la littérature biblique : ce sont les keroubim (chérubins), gardiens de l'arche d'alliance. Ils peuvent aussi être rapprochés des séraphins (les « brûlants ») de la vision du trône céleste qu'a Isaïe dans le temple de Jérusalem: « Des séraphins se tenaient au-dessus de lui. Ils avaient chacun six ailes: deux pour se couvrir le visage, deux pour se couvrir les pieds, et deux pour voler. Ils se criaient l'un à l'autre: “Saint! Saint! Saint, le Seigneur de l'univers! Toute la terre est remplie de sa gloire” » (Is 6).

Quelle est sa signification pour les chrétiens ?

La vision cosmique héritée de la Mésopotamie est sans doute celle qui a commencé à s'imposer pour les chrétiens confrontés à la lecture de l'Apocalypse.
C'est ce qu'explique saint Irénée, évêque de Lyon au IIe siècle: « Puisqu'il existe quatre régions du monde dans lequel nous sommes et quatre vents principaux, et puisque, d'autre part, l'Église est répandue sur toute la terre et qu'elle a pour colonne et pour soutien l'Évangile et l'Esprit de vie, il est naturel qu'elle ait quatre colonnes qui soufflent de toutes parts l'incorruptibilité et rendent la vie aux hommes », écrit-il dans Contre les hérésies. Ainsi, à travers les quatre constellations, c'est l'univers tout entier qui chante la gloire de Dieu. « Les Vivants renvoient donc ici en même temps à deux niveaux de symbolisme: par leur référence astrale, ils apparaissent comme rassemblant l'univers et le condensant sous le trône de Dieu; par leur fonction liturgique, ils donnent une voix au cosmos », écrit le carme Jean Lévêque.
Mais, dans son interprétation, Irénée ne s'arrête pas là et discerne dans les quatre vivants différents aspects du mystère du Christ exprimés par les quatre Évangiles complémentaires: « Telle se présente l'activité du Fils de Dieu, telle aussi la forme des Vivants, et telle la forme de ces Vivants, tel aussi le caractère de l'Évangile: quadruple forme des Vivants, quadruple forme de l'Évangile, quadruple forme de l'activité du Seigneur. » L'évêque de Lyon identifie alors chaque évangéliste à l'un quatre des vivants: Jean au Lion (figure caractéristique de « la puissance, la prééminence et la royauté du Fils de Dieu » racontée avec « hardiesse » par cet Évangile), Luc au taureau (image de la fonction de sacrificateur et de prêtre du Christ manifestée par le prêtre Zacharie au début de cet Évangile), Matthieu à l'homme (qui commence par la généalogie humaine de Jésus), et Marc à l'aigle (symbole de l'Esprit volant sur l'Église, Marc commençant par l'Esprit prophétique survenant d'en haut sur les hommes).
Dans les premiers siècles, l'identification entre les évangélistes et les figures sera variable et ne sera définitivement fixée qu'avec saint Jérôme (Ve siècle). Gardant l'attribution de l'homme à Matthieu et du taureau à Luc, il identifie le lion à Marc (animal du désert, cet Évangile commençant par la voix qui crie dans le désert) et l'aigle à Jean (dont le prologue commence par le Verbe, voix venue du ciel). Pour Jérôme, ces quatre animaux résument ainsi quatre moments majeurs de la vie du Christ: le Verbe s'est incarné (homme), a été tenté au désert (lion), a été immolé (taureau) et est monté au ciel (aigle). C'est justement l'ordre canonique fixé pour les quatre Évangiles à cette époque.

SENEZE Nicolas


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