mardi 25 avril 2023
Jacques Halbronn Linguiotique La lette "e" en français entre voyelle et consonne. Le Sheba de l'hébreu
Jacques Halbronn Linguistique La lettre ‘ »e » en français intermédiaire entre voyelle et consonne. Le Shewa de l'hébreu.
On aurait bien tort de considérer la lettre « e » en français comme une voyelle parmi d’autres alors que son statut s’avère très particulier. En fait, la présence du « e » consiste selon nous à privilégier les consonnes en leur conférant une certaine prééminence mais, dans d’autres cas, le « e » conduira à les occulter.
I Le e est garant de la prononciation d’une conne.
On nous explique qu’en français, une consonne suivie d’un e doit s’entendre alors que l’absence de cette lettre la condamne au mutisme: petit/petite.
II Le e combine les consonnes.
En français, la lettre « e » coincée entre deux consonnes est vouée à relier celles-ci et non à susciter une syllabe. Parfois, l’apostrophe remplace le « e » . Au futur, formé à partir de l’infinitif, le « e » est silencieux: je mangerai doit s’entendre « j’mang »rai ».
III Le e occulte les consonnes
Comme pour ce qui est de l’infinitif de la conjugaison en « er » :le e de manger occulte le « r » alors que le « i » ne le fait pas.(cf deuxiéme groupe) De même , pour clef, où le f ne s’entend pas et plus encore avec « clé ». Dans ce cas, l’accent mis sur le e confirme la disparition sonore de la consonne qui suit. Le participe passé en français se terminait autrefois, pour cette même conjugaison (premier groupe) par « ed » devenu « é » alors que la forme en « i » échappe à un tel traitement.
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Les terminaisons des verbes du 1er groupe au présent de l’indicatif
je mange
tu observes
il / elle regarde
nous marchons
vous parlez
ils / elles inventent
Les verbes du 2e groupe ont aussi les mêmes terminaisons au présent de l’indicatif : -is, -is, -it, -issons, -issez, -issent.
Les terminaisons des verbes du 2e groupe au présent de l’indicatif
je rétablis
tu trahis
il / elle avertit
nous avertissons
vous vernissez
ils / elles bondissent
””E muet” et ”Schwa” au XVIIIe siècle” Christophe Rey
Journées d’Études Linguistiques de Nantes (JEL’2007), Jun 2007, Nantes, France. pp.9-14. ffhal-00434313ff « E muet » et « Schwa » au XVIIIe siècle Rey, C. Université de Picardie Jules Verne LESCLaP christophe.rey@u-picardie.fr Abstract
La lexicographie française moderne présente les notions de Schwa et e muet comme de strictes équivalents. Ces deux unités, dans notre langue, ont-elles toujours été considérées comme décrivant les mêmes réalités ? Qu’apprenons-nous d’un regard sur les théories grammaticales françaises des siècles antérieurs ? 1 Introduction L’intérêt porté ici à la notion de schwa est avant tout guidé par des préoccupations lexicographiques et d’histoire de la Grammaire. Notre communication n’a donc pas d’autres prétentions que de proposer un éclairage sur la conception de cette unité particulière depuis ces deux points de vue. Cet éclairage prend pour point de départ la question de l’émergence lexicographique du schwa et vise à déterminer la place qu’occupe cette notion dans les analyses grammaticales de nos prédécesseurs des XVIe , XVII e et XVIII e siècles. Le schwa et le e muet constituent-ils des unités identiques ou distinctes ? Notre analyse s’appuie en grande partie sur les théories de Nicolas Beauzée, grammairien-philosophe auteur d’une théorie de la syllabe où le schwa occupe justement une place centrale. 2 Du « Schwa » au « e muet » « CHVA, SCHWA, subst. masc. Voyelle neutre, ni ouverte ni fermée, ni antérieure ni postérieure, ni rétractée ni arrondie; en français, le e muet […] » (CHVA, Trésor de la Langue Française) Comme l’illustre l’article ci-dessus extrait du Trésor de la Langue Française, la lexicographie française moderne utilise la notion de Schwa pour désigner autrement celle de e muet. Nos préoccupations de lexicographe nous ont amené à nous interroger sur les origines lexicographiques et historiques de cette notion particulièrement complexe de la Phonétique. Il est en effet intéressant de prendre en considération l’émergence lexicale de cette notion et de vérifier si ses définitions antérieures convergent toutes également vers la stricte équivalence aujourd’hui établie avec le e muet. Pour tenter de répondre à ces interrogations, nous avons sondé les différents grands dictionnaires monolingues du passé et sommes parvenu à la constatation suivante : aucune entrée lexicale n’est consacrée à cette notion de schwa avant le XVIII e siècle, et plus précisément avant la rédaction d’un article « SCHÉVA » par Nicolas Beauzée au sein du dictionnaire Grammaire & Littérature (1782-1786) de l’Encyclopédie Méthodique (1782-1832) (Teysseire, 1991, Darnton, 1982). L’apparition, seulement à la fin du siècle des Lumières, d’une entrée de dictionnaire consacrée à cette notion trouve-t-elle une explication dans les traditions grammaticales des XVI e , XVII e et XVIII e siècles ? Nous n’avons pas relevé de références explicites à cette notion de schwa au XVIe siècle lors de nos lectures des Meigret (1545), Peletier du Mans (1550) ou Ramus (1572). Le constat est identique pour le XVII e siècle, siècle durant lequel les grammairiens dressent eux aussi un inventaire des sons du français où l’on retrouve certes un « e muet » « e féminin », « e clos » ou « e barré », mais où cette unité n’est jamais mise en relation avec le schwa. La seule référence explicite que nous ayons trouvée à cette notion de schwa figure au sein de la Grammaire générale et raisonnée (1660) d’Arnauld et Lancelot, grammaire autrement connue sous le nom de « Grammaire de Port-Royal ». Nous reproduisons ci-dessous l’extrait en question : « Il reste l’e muet ou feminin, qui n’est dans son origine qu’un son sourd, conjoint aux consones, lorsqu’on les veut prononcer sans voyelles1 , comme lorsqu’elles sont suivies immédiatement d’autres consonnes, ainsi que dans ce mot, scamnum : c’est ce que les Hebreux appellent scheva, surtout lorsqu’il commēce la syllabe. Et ce scheva se trouve necessairement en toutes les langues, quoy qu’on n’y prenne pas garde, parce qu’il n’y a point de caractere pour le marquer. Mais quelques langues vulgaires, comme l’Alemand et le François, l’ont marqué par la voyelle e, ajoutant ce son aux autres qu’elle avoit déjà : et de plus ils ont fait que cet e féminin fait une syllabe avec sa consonne, comme est la seconde dans netteté, j’aymeray, donneray, &c. ce que ne faisoit pas le scheva dans les autres langues, quoique plusieurs fassent cette faute en prononçant le scheva des Hébreux. » (Port-Royal, 1660, 10) Cet extrait est intéressant à plusieurs égards. Il apporte dans un premier temps une information cruciale sur cette notion en la situant historiquement – à l’image de ce que font d’ailleurs nos définitions modernes du schwa – comme un emprunt à la langue hébraïque où elle sert à désigner un son « sourd, conjoint aux consones, lorsqu’on les veut prononcer sans voyelles ». Ce même extrait nous apprend ensuite que le français, au même titre que l’allemand, fait partie des langues ayant pratiqué à un moment de son histoire, un marquage graphique de ce schwa. Ce marquage semble avoir été à l’origine de l’émergence de notre e muet moderne. La Phonétique historique confirme en effet qu’en ancien et moyen français tous les e dits « caducs » étaient graphiquement marqués et prononcés comme un véritable schwa central et neutre2 . En précisant que le schwa est historiquement à l’origine de notre e muet, ce commentaire des grammairiens de Port-Royal ne nous fournit néanmoins pas d’explication pouvant justifier l’absence de cette notion dans les descriptions phoniques des grammairiens des XVI e et XVII e siècles. Il semble d’ailleurs très difficile d’expliquer exactement pourquoi cette notion ayant permis l’émergence du e muet ne trouve aucun écho chez ceux qui entreprennent de décrire le système phonique du français. La correspondance historique entre ces deux notions est-elle peut-être trop lointaine pour être mentionnée dans les analyses grammaticales ? Peut-être peut-on également envisager une certaine volonté de ne pas avoir recours à une terminologie empruntée à une autre langue alors même que l’on cherche à revendiquer l’originalité de la sienne ? Nous ne possédons pas de réponse catégorique pour expliquer ce phénomène d’absence de référence explicite au schwa et sommes donc persuadé de l’intérêt scientifique que possèdent les quelques mentions explicites que nous pouvons relever de cette notion dans le corpus des grammaires antérieures. 3 Le schwa, une unité présente au sein de la Grammaire générale Dans la seconde partie de notre exposé nous souhaitons mettre en évidence l’existence d’un lien étroit entre cette mention de schwa et le courant scientifique de la Grammaire dite « générale ». C’est en tout cas ce que semble illustrer la répartition des différentes attestations de cette notion que notre parcours a permis de relever. A la suite de cette première mention faite dans l’ouvrage de Port-Royal, nous retrouvons en effet cette notion de schwa successivement au sein du Dictionnaire Universel de Trévoux (1743-1752), du 1 Soit dans le corps des mots, soit dans l’épellation dans l’alphabet. 2 Sauf en cas d’élision devant voyelle dans les monosyllabes comme je, le ou se, pratiquée depuis l’ancien français. Dictionnaire raisonné ou Encyclopédie des arts et des sciences de Diderot et d’Alembert (1751-1780), de la Grammaire générale (1767, désormais GG) de Beauzée et enfin dans le dictionnaire Grammaire & Littérature (1782-1786) de l’Encyclopédie Méthodique (1782-1832, désormais EM). La mention du schwa faite dans le Trévoux ne revendique pas un rattachement à la Grammaire générale mais a néanmoins la particularité d’attester le fait que le e muet et le schwa sont bien considérés comme deux unités équivalentes : « Cet e se trouve aussi dans notre langue au milieu des mots, soit entre deux consonnes, soit après une voyelle, devant une consonne. Lorsqu’il est entre deux consonnes, il a un son fort obscur, & comme imperceptible. Il est dans notre langue ce qu’est en Hébreu le point voyelle 3 que les Grammairiens appellent scheva. C’est un e très-obscur, qu’on est obligé dans toutes les langues de sous-entendre, quand on veut prononcer deux consonnes de suite dans la même syllabe, sur-tout si ces deux consonnes sont un peu fortes à prononcer. Toute la différence qu’il y a là-dessus entre les autres nations & nous, c’est que nous écrivons cet e, que les autres nations n’écrivent point ; mais la prononciation est à peu près la même. Ainsi en écrivant pelouse, éperon, nous prononçons comme on prononceroit ailleurs, plouz, épron. » (TREVOUX, 1743-1752) Toutes les autres mentions du schwa que nous avons ensuite relevées sont le fait d’un seul et même grammairien, le plus grand représentant du courant de la Grammaire générale : Nicolas Beauzée. Ce dernier est en effet l’auteur des articles SYLLABAIRE et SYLLABE du Dictionnaire raisonné ou Encyclopédie des arts et des sciences de Diderot et d’Alembert (1751-1780), les deux seuls articles traitant du schwa que compte cette célèbre encyclopédie. Il est également l’auteur d’une Grammaire générale publiée en 1767 au sein de laquelle la notion de schwa va occuper, comme nous allons nous attacher à le démontrer plus loin, une place centrale dans sa théorie phonétique. Beauzée est enfin également l’auteur de la toute première entrée de dictionnaire consacrée au schwa, entrée qu’il rédige pour le dictionnaire Grammaire & Littérature (1782-1786), l’un des trente-neuf dictionnaires de matière de l’Encyclopédie Méthodique (1782-1832). Au sein de cette entrée Beauzée revendique d’ailleurs explicitement la nécessité d’intégrer dans la Grammaire générale cette notion de schwa : « La Grammaire générale doit adopter ce terme, puisqu’il existe, pour caractériser cet e muet presque insensible qui se fait nécessairement entendre après toute consonne prononcée sans être suivie d’une autre voix distincte comme la fin des mots Job , Nil, fer, ou même à la fin de robe, bîle, mère. » (Beauzée, SCHEVA, EM) Malgré l’exhortation à intégrer cette notion de schwa dans les principes de Grammaire générale, Beauzée semble avoir été le seul grammairien à avoir offert une place de choix à cette unité dans ses contributions scientifiques multiples. En effet, bien que proche de certains de ses prédécesseurs et successeurs, notamment sur cette question de la théorie de la syllabe4 , Beauzée semble relativement isolé sur ce point théorique précis au sein du courant de la Grammaire générale. Cet isolement ne change toutefois rien au fait que selon nous la présence du schwa chez ce grammairien illustre l’existence de conditions d’émergence bien particulières de cette unité : il s’agit d’une unité admise dans un contexte de description nettement plurilingue. Nous nous proposons à présent d’examiner le rôle exact que joue le schwa au sein des théories développées par Beauzée. 3 Les point-voyelles constituent des diacritiques utilisés pour signaler dans certaines langues la présence d’une voyelle non marquée graphiquement. 4 Les théories syllabiques développées par Charles-Pinot Duclos (1754) et Napoléon Landais (1835) sont certes proches de celle de Beauzée mais ne s’appuient pas sur le schwa. 4 La place du « schwa » dans la conception de la syllabe chez Beauzée Nous avons souligné ailleurs (Rey, 2006a, 2006b, 2005, 2004) le rôle décisif joué par Nicolas Beauzée dans le développement, la maturation et la thématisation lexicale des connaissances relatives à la substance phonique de la langue française. L’analyse détaillée de la place qu’occupe la notion de schwa chez ce grammairien nous ramène sur ce même terrain d’étude étant donné que le schwa constitue une pièce centrale de sa conception de la syllabe. Ainsi que le souligne l’extrait ci-dessous tiré de sa GG et repris à l’identique dans l’article SCHEVA de l’EM, cette unité couvre avant tout une réalité bien distincte de celle du e muet : « La seconde observation, c’est que le son que j’ai appellé eu oral & muet, comme nous l’exprimons à la fin de je (pronom de la première personne), n’est pas précisément la même chose que le schéva presque insensible que nous faisons entendre, par exemple, à la fin de fer, Nil, Job, ou même à la fin de mère, bile, robe, où nous le représentons par un e. Ce schéva presque insensible est commun inévitablement à toutes les langues qui terminent quelque syllabe par une consonne non muette, ou qui mettent de suite deux ou trois consonnes différentes, comme bra, clo, spu, stri, scro, spré, &c. L’eu muet au contraire est une voix propre à quelques langues seulement, & spécialement à la nôtre, où il est ordinairement représenté par un e & prononcé bien plus fortement que le schéva, du moins dans bien des occurrences : car il nous arrive quelquefois de ne lui donner pas plus de vigueur qu’au schéva. Nous prononçons, par exemple, bien pleinement je veux en deux syllabes distinctes, dans le discours soutenu; mais dans le discours ordinaire, nous prononçons sourdement je veux comme s’il y avoit j-veux en une syllabe seulement: dans le premier cas, nous prononçons en effet l’eu muet; & dans le second cas, c’est le simple schéva. » (Beauzée, GG, 23-24 et EM, article SCHEVA) Beauzée établit ici une distinction nette entre le e muet et le schwa, une distinction qui n’est pas sans rappeler un développement formulé à l’article CONSONNE de l’Encyclopédie par son illustre prédécesseur César-Chesneau Dumarsais (Cf. Douay, 1988) : « Les syllabes qui sont terminées par des consonnes sont toûjours suivies d’un son foible, qui est regardé comme un e muet ; c’est le nom que l’on donne à l’effet de la derniere ondulation ou du dernier tremoussement de l’air sonore, c’est le dernier ébranlement que le nerf auditif reçoit de cet air : je veux dire que cet e muet foible n’est pas de même nature que l’e muet excité à dessein, tel que l’e de la fin des mots vu-e, vi-e, & tels que sont tous les e de nos rimes féminines. Ainsi il y a bien de la différence entre le son foible que l’on entend à la fin du mot Michel & le dernier du mot Michelle, entre bel & belle, entre coq & coque, entre Job & robe ; bal & balle, cap & cape, Siam & ame, &c.5 S’il y a dans un mot plusieurs consonnes de suite, il faut toûjours supposer entre chaque consonne cet e foible & fort bref, il est comme le son que l’on distingue entre chaque coup de marteau quand il y en a plusieurs qui se suivent d’aussi près qu’il est possible. Ces réflexions font voir que l’e muet foible est dans toutes les langues. » (DUMARSAIS, article CONSONNE, Encyclopédie,) La différence que pose Dumarsais entre un e muet et un e muet foible correspond précisément à celle qu’établit Beauzée entre e muet et SCHEVA. Au-delà de la formulation de cette distinction essentielle, Beauzée offre une place de choix à cette unité empruntée à la langue hébraïque, puisqu’elle lui permet d’élaborer une théorie de la syllabe avant tout caractérisée par son aspect phonique. Chez ce grammairien, la substance phonique de la langue s’organise autour de la Voix, unité vocalique décrite comme « une simple émission de l’air sonore, dont la forme constitutive dépend de celle du 5 Il est intéressant de souligner ici le fait que Dumarsais est originaire de la région de Marseille et donc que cette différence de prononciation qu’il mentionne est peut-être conditionnée par cette appartenance géographique. passage que lui prête la bouche » (Beauzée, article H, EM) et de l’Articulation, unité consonantique envisagée comme « une explosion qui reçoit la voix, par le mouvement subit & instantanné de quelqu’une des parties de l’organe » (Beauzée, article SYLLABE, EM). Beauzée s’appuie sur ce découpage et construit une théorie particulière où la syllabe est envisagée soit comme une seule unité vocalique, soit comme une unité consonantique suivie de la voix qui permet sa réalisation. Cette conception s’appuie également sur les oppositions très liées entre voix sensibles et voix insensibles et entre syllabes physiques et syllabes artificielles. Les voix sensibles sont les voix exprimées phoniquement dans la syllabe et les voix insensibles sont celles non exprimées phoniquement (le schwa) mais servant à identifier tout de même une syllabe. L’exemple donné par Beauzée pour illustrer cette distinction est celui du mot or dans lequel se trouve une voix sensible, o, et une voix insensible, le schéva nécessaire à la réalisation phonique du r final. L’opposition entre syllabe physique et artificielle se trouve quant à elle explicitée ci-dessous : « Une syllabe physique est une voix sensible prononcée naturellement en une seule émission. Telles sont les deux syllabes du mot a-mi : il y a dans chacune d’elles une voix, a, i, chacune de ces voix est sensible, puisque l’oreille les distingue sans confusion comme l’organe les prononce; chacune de ces voix est prononcée naturellement, puisque la première est le produit d’une simple émission spontanée, & que l’autre est le résultat d’une émission accélérée par une articulation qui la précède, comme la cause précède naturellement l’effet; enfin chacune de ces voix est prononcée en une seule émission, & c’est le principal caractère des syllabes. » (Beauzée, GG : 105-106) « Une syllabe artificielle est une voix sensible prononcée artificiellement avec d’autres voix insensibles en une seule émission. Telles sont les deux syllabes du mot trom-peur : il y a dans chacune d’elles une voix sensible, om, eu, toutes deux distinguées par l’organe qui les prononce & par celui qui les entend : chacune de ces voix est prononcée avec un schéva insensible ; om avec le schéva que suppose la première consonne t, laquelle ne tombe pas immédiatement sur om comme la seconde consonne r ; eu avec le schéva que suppose la consonne finale r, laquelle ne peut naturellement modifier eu comme la consonne p qui précède : chacune de ces voix sensibles est prononcée artificiellement avec son schéva en une seule émission ; puisque la prononciation naturelle donneroit à chaque schéva une émission distincte, si l’art ne la précipitoit pour rendre le schéva insensible ; d’où il résulteroit que le mot trompeur, au lieu des deux syllabes artificielles trom-peur énoncées en deux émissions, auroit en quatre émissions distinctes les quatre syllabes physiques terom-peu-re. » (Beauzée, GG : 106-107) Nous ne pouvons pas développer davantage ici la théorie de la syllabe élaborée par Beauzée, mais tenions avant tout à montrer que celle-ci reposait en très grande partie sur la notion schwa. C’est justement en raison de la place centrale occupée par cette unité dans sa conception de la syllabe, et même au coeur de sa distinction des unités phoniques, que ce grammairien a entrepris de rédiger une entrée de dictionnaire qui lui soit consacrée. La rédaction de cette entrée constitue incontestablement le témoignage de la perception d’une originalité véritable du schwa par rapport au e muet, or, il est intéressant de noter que la tradition lexicographique a conservé cette entrée mais pour exprimer exactement l’inverse de ce qu’avançait Beauzée 6 . 5 Conclusion Bien que décrivant une réalité identique au e muet recensé chez les grammairiens des XVIe et XVII e siècles, le schwa constitue une unité qui n’est globalement pas très présente au sein des grammaires antérieures. Elle fait une apparition centrale au siècle des Lumières, au cœur du mouvement de la Grammaire générale, mais essentiellement sous la plume de Nicolas Beauzée. Cette influence limitée 6 Le Dictionnaire de la langue française (1872) d’Emile Littré et le Grand dictionnaire Universel (1863-1876) de Pierre Larousse possèdent en effet chacun une entrée Schwa où la notion est présentée comme un équivalent du e muet. n’est cependant pas négligeable puisqu’elle est à l’origine du premier article de dictionnaire consacré à cette notion, article qui dit exactement le contraire de ceux qui figurent dans nos ouvrages modernes
. Références
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