Le texte comme interface entre le visuel et le sonore
par Jacques Halbronn
On oppose volontiers l’écrit et l’oral mais c’est là une erreur
d’optique à notre sens. L’écrit en effet ne s’oppose pas à l’oral mais
est l’interface entre le visuel et le sonore, et constitue une entité
hybride qui ne reléve qu’à la marge du visuel et qui n’approche le
sonore que par un expédient. Il n’en reste pas moins que l’écrit
constitue une zone intermédiaire entre deux mondes sensoriels bien
distincts et que l’on aurait bien tort de confondre au regard de ce qui
ne constitue qu’une intersection entre deux ensembles fort différents en
particulier au prisme de la temporalité. L’oeil faut-il le rappeler
capte mais aussi émet (cf le regard du taureau dans Carmen)
Pourquoi donc cette fausse dialectique de l’écrit et du sonore?
Probablement parce que nous ne percevons plus pleinement le rôle des
signaux par lesquels nous communiquons en dehors de la parole et
qu’illistrait si bien autrefois la pantomime et son expression
cinématographique (le temps du muet, cf The Artist avec Jean Dujardin)
Or, nous accédons au langage non articulé bien avant d’apprendre à
parler/ Cela passe par le sourire, le regard, les mimiques, les moues,
les grimaces etc etc qui échappent à l’aveugle ou à celui qui vit dans
l’obscurité. Ce qui nous renvoie au mythe de la Caverne.
Car à l’inverse dans la Caverne, le son remplace le signe, les oreilles les yeux, la voix le geste.
Et l’on comprend quel sera le rôle de l’écrit pour faire communiquer
ces deux mondes, celui de la Caverne et celui qui se situe à l’air
libre. L’invention de l’écrit correspond à une tentative de symbiose
entre le monde des hommes, hors de la caverne et le monde des femmes,
au sein de la caverne. Apprendre à lire à voix haute est le propre des
passeurs entre les deux humanités que nous relions au stade androgynal
et au stade phallique, la femme de toute évidence quand elle est
enceinte ressemblant fort à l’androgyne; d’autant qu’elle n’a plus
besoin de l’homme.
Cela dit, il apparait que les femmes tendent à vouloir accéder au
monde et aux valeurs des hommes et vice versa/ Les hommes s’évertueront
à composer des sérénades – le chanteur de charme, le crooner- tandis
que les femmes porteront toutes sortes de parures qui attireront l’oeil
des hommes. Mais les femmes ne sont pas vraiment faites pour exister
visuellement et l’âge -comme le soulignait Ronsard dans ‘quand vous
serez bien vieille et comme le note un Raymond Lulle à propos d’une
femme dont la poitrine était abimée par la maladie- ne pardonne guère en
dépit des liftings. Quant aux hommes, leur rapport à la parole ne
saurait se substituer aux actes et comme on sait cela ne leur sert qu’à
appâter les femmes pour passer à un autre niveau de contact.
On a trop souvent tendance à croire que l’écrit est un point de
départ alors qu’il n’est qu’un pis aller, un compromis pour communiquer
avec celui qui ne capte pas bien les signes du visage et des mains. On a
vu récemment cependant des assemblées où les gens s’exprimaient par des
gestes codés, sur la Place de la République, au cours de nuits
blanches. Inversement, l’on peut penser que l’écrit permet de noter la
parole à destination des malentendants, ce qui correspond aussi au
langage des signes des sourds muets; L’écrit s’adresserait au départ
aux mal voyants et aux mal entendants. Ce serait en vérité un outil, une
« machine » faisant d’ailleurs appel à des matériaux non produits par
le corps (tablettes d’argile, papyrus etc) à la différence de ce que
nous pouvons exprimer spontanément par le geste et par la parole. On
parle d’ailleurs de joindre le geste à la parole. Avec l’écrit,
incarné par le scribe, l’humanité bascule déjà dans une certaine forme
de technologie. Les tables de la loi du Mont Sinai font triompher
l’écrit et ce faisant s’adressent à tout le monde puisque l’on peut
le rendre accessible aussi bien par la vue que par le son.
Rappelons que le visuel correspond aux arts plastiques et que le
sonore correspond à la musique. L’opéra est intermédiaire entre ces deux
plans.
On voit donc que le ternaire détermine une sorte de voie médiane. il
est comparable à la chauve souris, moitié souris, moitié oiseau.
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