lundi 13 juin 2016

Jacques Halbronn Les Dix Commandements et le Shéma Israel.

Les Dix Commandements et le Shéma Israel.
par  Jacques  Halbron

Le grand paradoxe du Shéma Israel (Ecoute, ô Israel), qui est généralement considéré comme le credo hébraique, qui doit accompagner  tout au long de sa vie le Juif pieux est qu’il ne comporte pas les Commandements auxquels il ne cesse de se référer. Comment expliquer une telle étrangeté, d’ailleurs  guère signalée, à notre connaissance.
On rappellera que le « Shéma » est composé de passages issus du Deutéronome (  Ch. VI,  4-9 et Ch  XI 13-21) et du Livre des Nombres (XV, 37-41), donc du Pentateuque. Le Deutéronome comprend par ailleurs les Dix Commandements et  c’est Moïse qui est censé s’adresser à Israel, et il y parle même de « mon dieu ».
Or, le Shéma évoque les Commandements mais d’une façon assez particulière. Qu’on en juge:
« Que les paroles que je te prescris aujourd’hui soient gravés dans ton coeur »  (trad.   du livre de prières  de la mouvance  juive  libérale) C’est le verbe Letsavoth qui est ici traduit par « prescris »  et qui pourrait tout à fait être rendu par je te commande.
Suit cette injonction: « tu les répéteras à tes enfanst, tu en parleras constamment, dans la maison, en voyageant, en te couchant et en te levant. Attache-les comme symbole sur ton bras, porte-les comme signe entre tes yeux et inscris les sur les poteaux de ta maison et sur tes portes ».
Il nous semble évident que de telles injonctions  ne constituent pas en soi les Commandements mais que cela vise à rappeler la nécessité de leur respect. Force est de constater une certaine confusion dans l’esprit des fidéles. Certains vont même jusqu’à dire que  le seul commandement du Shéma est « Tu aimeras l’Eterne ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir ». qui est en effet la phrase introductive.
En réalité,  il s’agit bien de respecter les Dix Commandements que l’on ne nomme pas mais qui dans le Deutéronome sont mentionnés à quelques lignes d’écart
Mais comment expliquer  une si étrange absence, que l’on se contente d’allusions?  Mais que dire de cette injonction à « répéter » ces Commandements, ce qui est à distinguer de leur application.? On a donc une injonction à s’en souvenir, une injonction à les répéter avant même d’aborder la question de leur application.
Mais quid de la phrase « Si vous obéissez aux lois que je vous impose en ce jour ». S’agit-il d’y penser, de ne pas les oublier, de les réciter ou bien de les appliquer? On reste perplexe!
On ne peut s’empêcher de penser à une forme de « magie » (cf notre ouvrage Le Monde  juif  et l’astrologie. Milan, Ed. Arché, 1985). En effet la phrase ci-dessus se poursuit ainsi:  » Je donnerai à votre pays la pluie opportune (…) et vous récolterez votre blé, votre vin, et votre huile. Je ferai croitre l’herbe dans vos champs pour votre bétail etc » ou encore « La durée de vos jours et des jours de vos enfants (…) s’étendra »
Mais le passage du Livre des Nombres tel que repris dans le Shéma , est à notre avis on ne peut plus clair: »Vous vous souviendrez de mes commandements (Mitzwotaï)  et vous les accomplirez tous et vous serez saints pour votre Dieu ». Il ne fait pas de doute que ce sont bien les fameux Dix Commandements qu’il s’agit d’appliquer et pas seulement le fait de les lire et de les écrire, de les  placer dans des étuis etc.
Reposons donc la question: pourquoi  ne donne-t-on pas dans le Shéma la liste des Commandemens? Selon nous,  le texte même comportant les Mitzwoth aurait été considéré comme sacré et ne devait pas être formulé. Cela renvoie à l’interdit sur la non prononciation du tétragramme.
Autre question:  à qui s’adresse ces Commandements? La réponse est assez évidente selon le contexte, à savoir aux hommes et non aux femmes lesquelles ne sont mentionnées que comme ne devant pas faire l’objet de convoitise. Les femme, selon nous, n’ont pas à respecter  ces Commandements.
Quand on demande à des Juifs, ce qui sous-tend une telle liste, quelles valeurs y sont mises en avant au regard de l’ensemble? Ils ne savent que répondre si ce n’est par des banalités liées à une société « idéale ». Mais en quoi  est-elle idéale?  Selon nous, il y a un interdit de céder à la tentation d’ajouter quoi que ce soit à ce que l’on a, à ce que l’on est à commencer par le fait de ne pas adopter d’autres dieux,  en plus, en supplément et surtout pas ceux des autres peuples.  Mais cela ne vaut-il pas pour toute forme de vol, de convoitise, de procédé douteux? On en restera à cette forme initiale  des Commandements  « Tu n’auras pas d’autres Dieux que moi ». C’est là la tentaton d’ajouter, c’est la mise en garde contre ce qui est autre, à autrui, y compris un dieu. Mais les femmes ne sont pas concernées car  ce n’est pas ce qu’on attend d’elles puisqu’elles n’existent au contraire que par ce qu’elles acquièrent, ce qui leur est donné, transmis.*
D’aucuns ont tenté de minimiser l’importance du Shéma en soutenant qu’il n’était qu’une infime partie du Pentateuque et  que par ailleurs, les Dix Commandements n’étaient aussi que peu de choses au regard de toutes les « mitswoth » qui régulaient la pratique juive.
Venons en à présent à la question du contenu d’une telle liste. Nous avons proposé d’y voir une injonction faites aux hommes de résister à la tentation de l’ajout, du complément, de s’approprier ce qui est à autrui (ce qui renvoie à l’aliénation) mais deux commandements  semblent ne pas correspondre à une telle orientation. D’une part le « tu ne tueras point » qui ne fait guère sens dans une telle série si l’on ne précise pas par un complément d’objet ou par l’indication de circonstances. Il en est ainsi de l’abattage rituel des animaux qui ne saurait s’accomplir n’importe comment. (Kashrouth).  En ce sens tuer correspond bien à un ajout qui n’est tolérable que sous certaines conditions et l’on sait l’importance des lois alimentaires dans la vie juive.
L’autre commandement  problématique concerne le respect du père et de la mère.
« Honore ton père et ta mère comme l’a prescrit l’Eternel ton Dieu afin de prolonger tes jours et de vivre heureux sur la terre que l’Eterne ton Dieu  te destine »
(Deutéronome  V, 16)
Pourquoi  indiquer que le respect de ce commandement allongera nos jours?  Cela rappelle ce que nous disions à propos du Shéma qui promet une récompense et une protection à ceux qui respecteront des commandements dont on a vu qu’ils n’étaient pas mentionnés de façon explicite.
On rapprochera ce texte sur les parents d’un autre  (DEutéronome  IV, 1) qui pourrait être le prélude de l’exposé des dits Commandements  du chapitre suivant, V, lequel fournit bel et bien les  Commandements. D’ailleuts IV, 1  commence par « Israel Shema » et non par « Shema Israel », comme s’il s’agissait d’une autre mouture:
Trad. Rabbinat (Ed Colbo, p. 294)
« Maintenant, donc, ô Israel, écoute les lois et les régles que   je (moi Moïse) t’enseigne pour les pratiquer afin que vous viviez et que vous arriviez à posséder  le pays que l’Eternel , Dieu de vos pères,  vous donne. N’ajoutez rien à ce que je vous prescris et n’en retranchez rien »
Les similitudes entre ces deux textes appartenant à deux chapitres consécutifs du Deutéronome sont  frappantes quant au vocabulaire. Dans les deux cas, il est queston d’une terre « donnée par Dieu – on emploie dans un cas Adama (Dix Commandements et dans l’autre Erets.(Israel Shema,)
Le mot père (Av, pluriel  Avoth) se retrouve également dans les deux cas:  honore ton père,  d’une part (Dix Commandements) et  « Dieu de vos pères » (Israel Shema).
On comprendra  que Moïse insiste ici sur l’unicité de cette terre « promise » tout comme il doit y avoir unicité du Dieu d’Israel, sans aucune alternative.
Le respect de ces Commandements semble conditionner la possibilité pour les Hébreux, de vivre dans cette Terre. On se situe là dans le désert, avant l’arrivée en terre de Canaan.
Il apparait égalemen que les Dix Commandements pourraient correspondre aux injonctions de « Dieu » à Adam et à sa femme (Isha), dans le Jardin d’Eden, concernant la consommation
du fruit d’un certain arbre. Le serpent est le tentateur qui propose un « plus », un ajout et le dit
serpent trouve chez la femme un écho favorable, elle qui est toujours à l’affut de compléments
de prolongements.
Quand  on interroge les rabbins sur l’absence de l’énoncé des Dix Commandements dans la liturgie synagogale- alors que les tables de la Loi qui les comportent trônent dans chaque édifice, on nous répond fréquemment que le Shéma ne vise pas spécialement les Dix Commandements et que le talmud  (traité Makoth 23b) -sans les citer – en dénombre 613 (365 négatifs  et 248  positifs)..Rappelons quand même que parmi ces Dix Commandements, il y a celui du Shabbat. Maimonide les énonce dans le Mishné Torah/.  est à noter que beaucoup de ces commandements (tels que ceux liés aux sacrifices) ne sont pas applicables tant qu’il n’y a pas de Temple à Jérusalem.

La division de la série en deux ensembles, l’un de trois, l’autre de sept, se retrouve en ce qui concerne une autre série, celle des Sephiroth qui se divise également sur la base 3 + 7. On retrouve un tel agencement dans le Livre de la  Création (Sefer Yetsirah), où l’on trouve 3 lettres mères ( Aleph, Mem Shinj) et 7 lettres simples (bagadkafh plus  Resh) si ce n’est que c’est une déformation de 6 +4 (cf nos Clefs pour l’Astrologie. Ed Seghers  1976). Ces observations devraient permettre de dater l’instauration de tels dispositifs.
En ce qui concerne l’absence de la mention des Mitswoth dans le Shéma et l’hyper-présence des signes qui s’y référent, l’on peut se demander si l’on ne se trouve point là en face d’un dispositif talismanique où la forme prime sur le fond. En effet, la première raison du respect de des Mitzwoth (cf traité Shabbat du Talmud) serait  historiquement la protection contre le déterminisme astral (Ein Mazal leIsrael)









JHB

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