Etude biblique : les rédacteurs de la Bible, élohiste, yahviste, deutéronomiste, johannique... (Genèse 28, 2 Rois 22-23, évangile et lettres de Jean)
Etude biblique : les rédacteurs de la Bible
Où sont passés le yahwiste et
l’élohiste ?
I Gn
28 : le songe de Jacob
Traditionnellement
on considérait que les cinq premiers livres de l’ancien testament
avaient été rédigés à partir
de quatre sources : le deutéronomiste, le sacerdotal, le yahwiste et
l’élohiste. Que penser de cette théorie des quatre sources ? Pour
répondre, je vous propose de lire ce passage du
cycle de Jacob en vous posant les questions suivantes :
- A quels genres littéraires s’apparente ce récit ?
- Y-a-t-il unité de temps, de lieu et d’action ?
- Quels arguments peut-on avancer pour voir dans ce récit la fusion d’un récit yahwiste et d’un récit
élohiste ?
Genèse 28, 10-22
10 Jacob quitta Bersabée et partit pour Harân.
11 Il atteignit un certain lieu et il y passa la nuit, car le soleil s'en était allé. Il prit une des pierres du
lieu, la mit à la tête et se coucha en ce lieu.
12 Il rêva : Voilà qu'une échelle était dressée sur la terre et que son sommet atteignait le ciel, et des
anges d’Elohim y montaient et descendaient !
13 Voilà que YHWH se tenait devant lui et dit : Je suis YHWH, l’Elohim d'Abraham ton père et l’Elohim
d'Isaac. La terre sur laquelle tu es couché, je la donne à toi et à ta descendance.
14 Ta descendance sera comme la poussière du sol, tu déborderas à l'occident et à l'orient, au nord et au sud,
et tous les clans de la terre seront bénis en toi et en ta descendance.
15 Je suis avec toi, je te garderai partout où tu iras et te ramènerai en ce pays, car je ne t'abandonnerai
pas sans avoir fait ce dont je t’ai parlé.
16 Jacob s'éveilla de son sommeil et dit : En vérité, YHWH est en ce lieu et je ne le savais
pas.
17 Il eut peur et dit : Que ce lieu est redoutable ! Ce n'est rien de moins qu'une maison d’Elohim
et la porte du ciel !
18 Jacob se leva tôt le matin, il prit la pierre qu’il avait mis au chevet, il la dressa comme une stèle et
répandit de l'huile sur son sommet.
19 Il cria le nom de ce lieu : Béthel, mais Louz était le nom de la ville en premier.
20 Jacob fit ce vœu : Si Dieu est avec moi et me garde en la route où je vais, s'il me donne du pain à manger
et des habits pour me vêtir,
21 si je reviens en paix à la maison de mon père, alors YHWH sera pour moi Elohim
22 et cette pierre que j'ai dressée comme une stèle sera une maison de Elohim et tout ce que tu me donneras, je
t’en donnerai la dîme pour toi.
II Eléments de réponses
Le
genre littéraire est difficile à définir. Le texte est à la fois un
songe, une légende cultuelle (un récit qui
explique l’origine d’un lieu de culte) et une théophanie,
c’est-à-dire une apparition divine. On peut noter que le récit est bien
délimité. Au départ le lieu est inconnu, à la fin du récit Jacob
lui donne un nom : Béthel. Le récit se déroule pendant la nuit, du
coucher du soleil au matin. Les actions de Jacob s’orientent vers la
fondation d’un sanctuaire.
Traditionnellement on a vu dans ce passage la fusion d’un récit yahwiste et d’un récit élohiste. Cette théorie des
deux sources s’appuie sur alternance des termes YHWH et Elohim dans tout le texte.
Mais
si vous tentez de séparer le récit avec Elohim de celui avec YHWH, le
récit élohiste est bien limité et
partiel. Elohim apparaît seulement dans les noms communs. El/Elohim
est en effet indispensable pour comprendre le nom Béthel… littéralement
“ maison de El. ”
III Pour aller plus loin,
Le
noyau du récit est une légende cultuelle... On retrouve les termes
d’une légende cultuelle comme l’utilisation
fréquente du mot lieu, le fait de dresser une pierre ou de donner la
signification du nom du lieu. Notons au passage qu’une stèle trouvée à
Sfiré est appelée “ maison des Dieux ”. Les
dieux à travers cette pierre pouvaient garantir un traité. La pierre
dressée à Béthel est donc une pierre-témoin et non un temple qui sera
construit bien plus tard.
Les versets 13-15 s’apparentent à un oracle qui relie le passage au cycle de Jacob et d’Abraham à travers le thème
de la promesse d’une terre et d’une descendance.
Le
récit primitif se compose donc d’une légende cultuelle, dans laquelle
on a inséré une promesse. Quelques ajouts
liés au temple de Béthel ont été faits ensuite comme au verset 22b
où la dîme suppose l’existence d’un Temple. De même la vision (rampe
menant au ciel = image de la ziggourat) est
postérieure.
L’alternance
des noms YHWH et Elohim peut s’expliquer par le fait qu’on ne peut
parler de Béthel sans parler de
El/Elohim. L’autre hypothèse est que ce récit nous montre que le
Dieu de Jacob El/Elohim (cf. Osée 12) est en fait YHWH. En tout état de
cause, il n’y a pas de récit élohiste préexistant !
Aujourd’hui l’existence d’une source élohiste et d’une source
yahwiste est remise en cause par les spécialistes. En revanche les
auteurs deutéronomistes et sacerdotaux sont
conservés…
Les rédacteurs de la Bible : le deutéronomiste
I – Texte de 2 Rois 22 –23
1 Un jour de la dix-huitième année de son règne, Josias envoya le secrétaire Chafan, fils d'Assalia et
petit-fils de Mechoullam, au temple du Seigneur. (…)
8 le grand-prêtre annonça à Chafan qu'il avait trouvé le livre de la loi dans le temple du Seigneur et il le lui
donna. Chafan le lut,
9 puis retourna faire son rapport au roi: “ Les prêtres, dit-il, ont vidé le coffre du temple et ont remis
l'argent aux entrepreneurs chargés des réparations.”
10 Puis il ajouta: “ Le grand prêtre Hilquia m'a donné ce livre. ” Et il le lut au roi.
11 Dès que le roi Josias eut entendu ce que contenait le livre de la loi, il fut si bouleversé qu'il déchira ses
vêtements. (…)
23,1 Aussitôt, le roi convoqua auprès de lui tous les anciens de Juda et de Jérusalem.
2 Ils se rendirent ensemble au temple du Seigneur, accompagnés de la population de Jérusalem et de Juda, prêtres,
prophètes et gens de toutes conditions. Puis le roi leur lut à tous le livre de l'alliance découvert dans le temple.
3
Il se tint ensuite près de la colonne du temple et renouvela l'alliance
avec le Seigneur; chacun devait
s'engager à être fidèle au Seigneur, à obéir de tout son cœur et de
toute son âme à ses commandements, à ses enseignements et à ses
prescriptions, et à mettre en pratique tout ce qui est écrit
dans le livre de l'alliance. Tout le peuple accepta cet engagement.
(…)
12
Il démolit les autels que les rois de Juda avaient dressés sur le toit
plat des appartements d'Ahaz, ainsi que
ceux dressés par Manassé dans les deux cours du temple ; il les fit
mettre en pièces sur place et fit jeter les débris dans la vallée du
Cédron.
23,15
Josias démolit aussi le lieu sacré de Béthel, que Jéroboam, fils de
Nebath, avait installé pour entraîner le
peuple d'Israël dans le péché ; il incendia le lieu sacré, démolit
l'autel, brûla le poteau sacré et réduisit le tout en poussière.
Questions :
Que découvre-t-on lors de la réfection du temple ? Sous le règne de quel roi ?
Cette découverte précède la réforme de ce roi. Quelles sont les grandes lignes de cette réforme
religieuse ?
Comparez avec Deutéronome 12-13. Quelle conclusion pouvez-vous en tirer ?
II –
Éléments de réponse
Lors
de la réfection du temple, un livre de l’alliance est découvert. Le roi
de Juda, Josias, s’appuie sur ce
livre pour justifier sa réforme religieuse. Il réaffirme
l’importance du temple de Jérusalem, centre unique de la religion juive,
et détruit les autres lieux de culte comme Bethel. YHWH est le
Dieu du royaume. Josias supprime donc les lieux de cultes des autres
dieux. Il réaffirme l’importance de l’alliance unissant Dieu et son
peuple. La teneur de cette réforme rappelle le Deutéronome
12-13. C’est pourquoi ce livre de l’alliance est identifié au
Deutéronome, littéralement la deuxième loi. Le Deutéronome correspond au
programme de réforme des prêtres du Nord. On pense que le
cœur du deutéronome (12-18) aurait été rédigé sous le règne de
Josias à partir du programme des prêtres du royaume du Nord, apporté par
des réfugiés après la chute de ce
royaume.
III – Pour aller plus loinL’auteur de ce livre a été appelé le deutéronomiste. Il affirme que pour posséder la terre Israël doit respecter l’alliance avec Dieu, donc la loi. Il a une certaine conception de l’histoire du peuple hébreu. Il faut suivre la loi pour posséder la terre promise. C’est l’infidélité du peuple qui conduit à l’exil.
III – Pour aller plus loinL’auteur de ce livre a été appelé le deutéronomiste. Il affirme que pour posséder la terre Israël doit respecter l’alliance avec Dieu, donc la loi. Il a une certaine conception de l’histoire du peuple hébreu. Il faut suivre la loi pour posséder la terre promise. C’est l’infidélité du peuple qui conduit à l’exil.
Si
le livre de la réforme de Josias est probablement celui du Deutéronome,
on ne pense pas en revanche qu’il ait
été trouvé lors de la restauration du temple. En effet, la primauté
accordée au livre sur le lieu de culte est typique de la période
exilique donc bien plus tardive (babylonienne). Certes, la
découverte de vieux documents lors de restauration est attestée dans
l’orient ancien. Les rois babyloniens cherchaient des temenu (texte de
fondation) ce qui justifiait la reconstruction. Là
encore cette pratique apparaît tardive. Ce thème semble donc avoir
été ajouté par un second rédacteur deutéronomiste.
Les auteurs deutéronomistes (avant l’exil et après) ont lu et relu l’histoire d’Israël de la servitude en Égypte à
l’exil babylonien.
Les rédacteurs de la Bible : l’école johannique
I –
Textes et questions
Lisez ces passages attribués par la tradition à Jean de Zébédée, puis répondez aux
questions.
1 Jn 3,14-15Nous, nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, puisque nous aimons nos frères. Qui n’aime pas demeure dans la mort. Quiconque hait son frère est un meurtrier. Et vous le savez, aucun meurtrier n’a la vie éternelle demeurant en lui.
1 Jn 3,14-15Nous, nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, puisque nous aimons nos frères. Qui n’aime pas demeure dans la mort. Quiconque hait son frère est un meurtrier. Et vous le savez, aucun meurtrier n’a la vie éternelle demeurant en lui.
2 Jn 1,1
L’Ancien, à la dame élue et à ses enfants, que j’aime dans la lumière de la vérité.
3 Jn 1,1
L’Ancien à Gaius, très aimé, que j’aime dans la lumière de la vérité.
Jn 21,20 et 24
Pierre, s’étant retourné, vit derrière lui le disciple que Jésus aimait, (…). C’est ce disciple qui témoigne
de ces choses et qui les a écrites et nous savons que son témoignage est conforme à la vérité…
Jn 5,24
En vérité, en vérité je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit en celui qui m’a envoyé a la vie
éternelle ; il ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie.
1 Tentez d’identifier les auteurs des quatre premiers passages.
2 Comparer 1 Jn 3,14-15 à Jn 5,24. En quoi ont-ils la même conception de la vie éternelle ?
3 Repérer quelques termes propres à ces passages.
II – Éléments de réponseL’auteur de la première lettre de
Jean ne se présente jamais, mais apparaît sous la forme d’un nous, c’est-à-dire d’un collectif. Les deuxième et troisième lettres ont été rédigées par l’Ancien. Quant à l’Évangile, c’est
le disciple bien aimé qui se présente comme son auteur.
Il
est donc possible d’identifier trois auteurs différents, pourtant il
existe des parentés entre ces passages.
Ainsi, 1 Jn 3,14-15 et Jn 5,24 présentent une même conception de la
vie éternelle. La vie éternelle est déjà une condition du présent
ici-bas pour ceux qui croient. De même, les différents
auteurs emploient un vocabulaire commun comme vie, lumière, vérité, témoigner ou aimer.
L’existence de plusieurs auteurs s’inscrivant dans une même tradition
(théologie commune)
et s’exprimant dans la même langue (style et vocabulaire communs)
nous renvoie à l’existence d’une école, comme on en connaissait de
nombreuses dans le judaïsme et dans l’antiquité
gréco-romaine.
III – Pour aller plus loinIl
s’agit de l’école de Jean,
appelée aussi école johannique. L’écrit le plus ancien est
l’Évangile. Il rassemble des traditions sur le Jésus terrestre (sept
miracles ou signes propres à cet Évangile). Il faut y ajouter des
traditions qui célèbrent le Christ sous forme d’hymnes, de
confessions de foi et d’argumentations doctrinales. Le disciple bien
aimé est à l’origine de cette école. Il lui a donné son orientation
théologique, mais c’est un autre membre de l’école qui a rédigé
l’Évangile. La première lettre nous présente des Églises johanniques
déchirées par une crise portant sur la façon d’interpréter la
foi commune. C’est une sorte de guide de lecture de l’Évangile. Les
deux autres lettres mettent en garde la communauté contre les mauvais
interprètes de la tradition johannique. Le travail de
l’école johannique est donc une entreprise de longue haleine qui
traverse tout le premier siècle. L’histoire de l’école johannique nous
montre comment une tradition initiée par le disciple bien
aimé prend corps dans un évangile qui déclenche lui-même un conflit
d’interprétation.
Éric Deheunynck
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