lundi 3 mai 2021
Jacques Halbronn La démarche alchimique de la langue française. Didactique du FLE
La démarche alchimique de la langue française.Didactique du FLE.
par Jacques Halbronn
La langue française a beaucoup à nous enseigner, et ce bien plus que l'apprentissage d'autres langues, cela tient à ce qu l'on pourrait appeler son alchimie. Il nous aura fallu beaucoup de temps pour en prendre conscience, peut être précisément parce que c'est notre langue maternelle par rapport à laquelle on n'a probablement pas assez de recul, peut être aussi parce que l'on a tendance à croire que toutes les langues se ressemblent fondamentalement.
Pendant longtemps, nous nous sommes polarisés sur des questions d'ordre lexical.(cf nos mémoires de 1981, 1987, 1989 et 1995, à l'Université Lille III et à Paris V René Descartes et enfin à Paris VIII Saint Denis) et notamment sur l'emprunt linguistique, qu'il s'agisse de certaines contaminations grammaticales ou de calques. Il y a peu nous avons mis en ligne une étude de 200 pages environ (sur SCRIBD) sur la dialectique de l'écrit et de l'oral, ce qui est devenu le cœur de nos réflexions actuelles, en travaillant notamment sur la comparaison du fonctionnement des langues..
Certes, les petits Français apprennent-ils ce que c'est qu'une liaison tout comme on leur explique que les consonnes finales d'un mot ne se prononcent pas sous certaines conditions. Mais toutes ces directives restent assez empiriques. Mais le résultat est là : l'étranger se fait comprendre mais , en revanche, a du mal à comprendre le français à l'oral alors que l'écrit, la lecture (on ne parle pas ici de celle qui se pratique « à voix haute » mais simplement le fait de comprendre ce qu'on lit) ne posent guère de probléme particulier..D'une façon générale, il est vrai qu'il est plus facile de s'exprimer dans une langue avec les connaissances acquises et que l'on sait exploiter que de capter tout ce qui se dit et s'écrit dans la dite langue.
A notre connaissance, au regard en tout cas des langues que nous pratiquons dans quatre champs : sémitique, latin, germanique et slave, aucune langue n'accorde autant d'importance aux « liaisons » entre les lettres, tant d'un mot à l'autre qu'entre les lettres d'un même mot. Ces liaisons ne sont pas absolument indispensables mais elles signalent l'étranger par son manque de fluidité, par sa discontinuité et le pénalisent quant à son (in)aptitude à distinguer, à séparer les mots français entre eux, les uns des autres. En ce sens, stricto sensu, il n'est guère aisé de maitriser la langue française, de la parler « couramment » (fluently en anglais), comme un « francophone » averti. Le français serait constitué de phrases enchainées plutôt que de mots bien séparés et c'est pourquoi le français parlé par des étrangers entre eux est plus accessible si ce n'est que cela risque fort de ne plus être fidéle à l'esprit de cette langue. Plus que jamais, il convient ici de distinguer la lettre et l'esprit car la lettre, c'est l'écrit, l'orthographe et l'esprit serait le souffle de l'oralité. Aucune autre langue que nous connaissions ne prend autant de liberté par rapport à l'écrit et c'est bien ce qui déconcerte. C'est comme si un oiseau ne parvenait pas à s'envoler.. En français, il faut impérativement prendre de la distance par rapport à l'écrit. En fait, comme en hébreu, on doit partir de l'oral pour faire parler l'écrit plutôt que l'inverse. D'ailleurs il est rare qu'un francophone parle la même langue quand il s'exprime librement à l'oral et quand il lit un texte, quand bien même ne s'en rendrait-il pas compte. Cela tient au fait qu'il a mal appris à lire et la langue française ainsi anonacée devient quasiment méconnaissable. C'est notamment le cas avec des exercices scolaires comme la dictée et la récitation, qui focalisent sur les syllabes, qui donnent un français « hâché » à telle enseigne que ce type de français « facile » - non pas sur le plan lexical mais sur celui de la phrase- est réservé aux étrangers. En ce sens, l'anglais pourrait être qualifié de français facile car il ne pratique guère les liaisons, ce qui facilite sensiblement la reconnaissance des mots.
Que l'on songe à la gymnastique mentale exigée du locuteur francophone. C'est à peu près aussi épuisant que de lire une page d'hébreu sans indication des voyelles. Le drame c'est que nombreux sont ceux qui croient, de bonne foi, maîtriser parfaitement le français alors qu'ils en sont loin, surtout s'ils ne reconnaissent pas leur difficulté à comprendre le français plus qu'à le parler. Il est vrai que l'on peut se leurrer au regard de la compréhension : d'une part parce qu'on devine en partie ce que dit l'interlocuteur et de l'autre parce que l'on s'illusionne sur ce que l'on a vraiment compris de ce qui a été dit. Bien pis pour un francophone accompli écouter quelqu'un parler le français sans en respecter la rythmicité devient vite lassant, éprouvant !
D'où vient cette façon si particulière de traiter une langue comme cela se fait en français ? On peut parler d'une forme de coquetterie, de manièrisme qui aura fini par contaminer toute la société alors qu'au départ, ce se pratiquait au sein de groupes assez restreints ne voulant pas être compris par d'autres. D'ailleurs, bien des langues utilisent des mots étrangers pour freiner la compréhension de ce qui se dit par le premier venu, qu'il s'agisse de toutes ces langues qui ont beaucoup emprunté de mots au français. L'emprunt linguistique servirait surtout à entretenir une certaine opacité dans la langue emprunteuse aux dépends d'une parie de la population au sein d'une certaine société, du nord au sud, de la Mer du Nord à la Méditerranée, d'Ouest en Est de l’Atlantique à l'Oural.dans le cas du français,..
Parmi les régles à apprendre, il y a celle du « e muet » -en hébreu « sheva ». Le rôle de cette lettre qui n'est pas une lettre comme les autres, est notamment de permettre de connecter les consonnes entre elles, donc de « tuer » les syllabes, autant que faire se peut. On ne dira pas « tu ne veux pas » mais « tun'veux pas ». Certes, il y a souvent des apostrophes qui mâchent le travail mais le processus de liaison déborde très largement le cas des apostrophes. On dira « j'aime » parce qu'il y a apostrophe mais aussi « j'taime », alors que l'apostrophe s'est déplacé. En réalité, il faudrait mettre deux apostrophes ou aucune si l'on respectait le « e » muet. Au lieu de dire ; « puisque je te le dis » il faudrait dire « puisq' j't 'l'dis » avec une suite de six consonnes : s- q- j- t-l-d. Ce qui ne change rien à l'écrit et c'est bien là le piège.
En fait, cette pratique ne se conçoit que pour une société qui connaît l'écrit et ne convient pas pour des analphabètes et c'est pourquoi nous pensons qu'il a du s'agir au départ d'un langage de cour, de lettrés, et comme il est courant cette pratique se sera démocratisée.
Mais nous avons également évoqué le cas de consonnes ne se prononçant pas en fin de mots, ce qui est tout aussi déconcertant pour un étranger. En fait, cette non prononciation est une exception qui ne se produit que lorsque le mot qui suit est une consonne. Il est petit mais c'est « mon petit ami ». Dans un cas, le t final ne s'entend pas, dans l'autre, la liaison impose sa prononciation. Même l'infinitif de la première conjugaison où le « r » ne se prononce pas comme dans manger, sera marqué par le futur qui donnera : il mangera. En fait, le mot français ne saurait s'isoler, il doit être relié au groupe auquel il appartient. En ce sens, le français exige une pratique de l'étymologie, de la dérivation et bien entendu de la conjugaison, de la formation des substantifs sans parler du genre : Gentil, gentille : dans un cas -au masculin - on n'entend pas le « l » dans l'autre -au féminin - on l'entend. Mais l'important,c'est qu'à l'écrit, tout se voit, que cela se prononce ou non.Autrement dit, quand un Français parle,il a en tête , à l'arrière plan, l'écrit qu'il visualise en quelque sorte..
Ce qui vient compliquer les choses tient au fait qu'il arrive que l'oral contamine l'écrit. C'est ainsi la première conjugaison du français, l'on aura cru bon de remplacer la forme « ed » du passé au masculin par un « é », ce qui correspond en effet à la pratique de la prononciation. Mais que se passe-t-il alors avec le féminin ? Convient-il comme cela se fait d'ajourer un « e » au « é » ? D'ailleurs, le probléme ne se pose pas pour d'autres conjugaison où l'on trouve écrit et écrite. Les Anglais ont d'ailleurs conservé le participe en « ed » car ils ont emprunté au français avant qu'une telle façon de faire ne se soit imposée. Il serait bon de ne pas mélanger oral et écrit, de ne pas aligner l'oral sur l'écrit ni l'écrit sur l'oral, ce qui éviterait les fautes d'orthographe et de prononciation, ce qui fait du tort à la langue française. Est-ce là le charme du français que cette sophistication qui explique sa présence au sein de tant de langues ? On peut penser que le français est la langue des élites et que le français a probablement pratique avant les autres la dialectique de l'écrit et de l'oral, laquelle était autrefois un luxe
JHB
02 05 21
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