mardi 17 octobre 2017

Les origines polythéistes du judaisme








Les Origines polythéistes
du judaïsme


Les qualificatifs de Dieu sont nombreux dans l'Ancien Testament. Adonaï, "Seigneur" en phénicien ; Sabbaot, "le dieu des armées", que certains rapprochent du Seht égyptien ; Eloha, "l'Eternel" et son singulier pluriel : Elohim ; Shadaï ; etc.. Comment expliquer cette multiplicité des dénominations, accompagnant certaines fois le nom Yahvé, d'autres fois non, utilisées parfois alternativement dans un même texte ?
Est-il interdit de penser que tous ces noms et les attributs qui vont avec ont leur origine dans l'existence d'un polythéisme hébreu antérieur au monothéisme ? Yahvé n'est-il pas une confusion, une fédération de plusieurs dieux ? D'autant qu'il apparaît parfois lui-même ambivalent et contrasté : "le mauvais souffle d'Elohîm triomphe sur Saül" (I Samuel 18,2)
Il faut bien garder à l'esprit qu'Elohim, s'il est un nom-qualificatif du Dieu des juifs, est aussi un nom générique désignant tous les dieux.

Comment donc ce dieu, qui revêt à l'origine les mêmes caractéristiques que les autres divinités finit-il par se métamorphoser et s'imposer devant tous comme unique ?
Dans les mythologies traditionnelles aussi on assiste à la prédominance progressive d'un dieu particulier (Zeus en Grèce par exemple). L'affirmation de l'unicité, quant à elle, vient sans doute après. Or, il existait plusieurs moyens pour les mythographes et prêtres de l'Antiquité d'habiller le coup de force que constitue une révolution de panthéon pour le faire paraître supportable.
D'abord, comme dans la mythologie grecque, on réélabore les généalogies ; on attribue à Yahvé la paternité des autres dieux. C'est ce qu'ont sans doute fait des auteurs de la Genèse. En effet, c'est Elohim qui est à l'origine de la "milice des ciels"... Pourtant, on peut noter que Satan n'est pas une créature divine. Mais un passage encore plus étonnant fait allusion aux fils de Dieu. Il faut donc supposer que Dieu n'a pas engendrer qu'Adam et la race des hommes. Mais ce qui prouve de manière encore plus convaincante qu'il existe une généalogie de dieux distincte de la généalogie adamique, c'est cette rencontre entre les "fils de Dieu" et les "filles des hommes" !

Les fils de Dieu virent que les filles des hommes étaient belles, et ils en prirent pour femmes parmi toutes celles qu'ils choisirent. (Genèse 6,2) Les géants étaient sur la terre en ces temps-là, après que les fils de Dieu furent venus vers les filles des hommes, et qu'elles leur eurent donné des enfants: ce sont ces héros qui furent fameux dans l'antiquité. (6,4)
(traduction Louis Segond)

Ces fils de Dieu ne sont donc pas des hommes. Et comme dans la mythologie traditionnelle du bassin méditerranéen, les unions entre des femmes humaines et des dieux donnent des héros ("fameux dans l'antiquité").
Ce qui est encore plus étonnant, c'est quand André Chouraqui traduit : "les fils des élohim", utilisant au pluriel le nom générique de toute divinité (les éternels), là où la Vulgate et les traductions qui s'en inspirent traduisent Elohim par "Dieu", effaçant ainsi toute trace suspecte de polythéisme.
Il peut aussi s'agir d'une soumission des autres dieux à celui qui les a vaincus à l'issue d'un combat titanesque. Elohim triomphe des autres "élohim". Mais jamais il n'y a de contestation de l'existence des autres divinités jusqu'à une date très avancée : Yahvé ne fait que s'imposer comme le plus puissant des dieux.

Enfin, la dernière étape consiste à rejeter l'idée-même d'une pluralité de dieux. Les autres dieux évoqués dans la Bible ne sont plus simplement des abominations, mais de purs artifices (Ezechiel en 16,17 parle de "constructions d'hommes").



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Dans la majeure partie de l'Ancien Testament, les récits dénigrant les autres dieux sont d'une grande virulence : l'adoration des abominations païennes mérite la mort. Il n'en demeure pas moins que dans la lutte contre les autres peuples, les fidèles de Yahvé ne font que détruire des temples, renverser des idoles ; on brise des statuettes votives. Mais jamais on ne conteste l'existence de ces dieux. D'ailleurs, le monothéisme judaïque ne s'impose que peu à peu ; il est loin d'être acquis dans Israël lui-même tout au long de l'Ancien Testament. Ce fut même souvent une pratique minoritaire (d'où la thématique du peuple infidèle). Il était même objet de sarcasme que les divinités païennes ne fussent pas capables de défendre leurs autels de la profanation par les Juifs !
Le projet juif fut donc moins ce lui de nier une vérité peut-être évidente mour l'époque – celle de la pluralité des dieux – que d'imposer la leur. L'absence d'arguments théologiques fins en faveur du monothéisme correspond bien, si l'on en croit Paul Veyne, à une volonté de puissance, qui se dispense de preuves, mais fait avancer sa vérité par coup d'éclat (par exemple, le bucher sacrificiel s'embrasant tout seul)

" Il est moins difficile d'éliminer une imagination que de la nier ; il est très difficile de nier un dieu, serait-ce celui des autres, et le judaïsme antique lui-même y parvenait difficilement. Il affirmait plutôt que les dieux étrangers étaient moins fort que le dieu national ou bien qu'ils n'étaient pas intéressants ; mépris ou horreur, pas négation : mais pour un patriote, c'est la même chose ; les dieux des autres existent-ils ? Peu importe leur existence : l'important est que les dieu des autres ne valent rien, ce sont des idoles de bois ou de pierre qui ont des oreilles pour ne pas entendre ; ces autres dieux, on " ne les connaît ", ce sont des dieux " qui ne nous ont pas été donnés en partage ", répète le Deutéronome, et les livres plus anciens sont plus candidement explicites. Quand l'Arche fut introduite dans le temple de Dagon, on retrouva le lendemain l'idole de ce Dagon, dieu des Philistins, prosternée, le visage contre terre, devant le dieu d'Israël ; le livre de Samuel le raconte et le psaume XCVI dira : " tous les dieux se prosternent devant Iaveh ". On ne veut connaître les dieux des autres nations que dans les tractations internationales ; quand on dit à l'Amorrhéen : " Comment ne posséderais-tu pas ce que Camos, ton dieu , te fait posséder ? ", c'est manière de lui promettre le respect de son territoire. "

Paul Veyne,
Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? (p.125)

Par conséquent, les juifs, avant de nier l'existence d'un panthéon divin, ont inventé un nouveau type de dieu : le dieu invisible, caché à son peuple. Ce dieu n'est plus immanent, il n'est plus dans la nature ni parmi les hommes – ceux-ci doivent l'honorer, mais de loin.

C'est en fait la transcendance qui est inventée. Yahvé n'est pas dans la nature ni les astres. Il n'est pas dans un arbre, il n'est pas dans un fleuve, il n'est pas non plus dans un buisson... Alors que les divinités traditionnelles sont des animaux qu'on vénère : Moloch (éponyme du dieu tyrien Melkarth) est le jeune taureau de l'année nouvelle, tandis que Dagôn, divinité des Philistins ou Esmun, dieu canaanite de la guérison, sont vénérés sous la forme de souris et que la déesse syrienne Astarté est une vache (elle donnera la déesse grecque Io). Ces dieux ont très souvent aussi leur arbre totémique et leur bois sanctuaire.

Yahvé, en revanche, est à distance de ses fidèles. Le dieu de l'exode qui rappelle sans cesse son peuple à l'observance de la loi ne se manifeste pas directement à lui mais par l'entremise de l'initié Moïse, qui ne parle d'ailleurs jamais en public et s'en remet pour cela à Aaron.
    Gustave Doré

Or, lors du fameux épisode du veau d'or (sans doute Moloch), ce que les hébreux reproche justement au dieu de Moïse, c'est de ne pas être ici-bas, avec eux dans le désert. Ils réclament l'immanence ; ils veulent l'asservissement à une idole certes rassurante mais qui réclame des victimes émissaires. La légitimité de Yahvé est alors loin d'être établie. (Les immolations d'enfants par le feu à Moloch devaient être une pratique courante des Cananéens, reprise par les juifs à certains moments : Lévitique 18,21 et 20,2 ; Rois I 11,7 [épisode où Salomon lui-même fait bâtir un temple pour Moloch et un pour Kemosh, divinité moabite] ; Rois II 23,10 ; Jérémie 32,35.)
Emmanuel Lévinas voit dans Yahvé un dieu qui libère. Métaphoriquement d'abord, il affranchit le peuple hébreu de l'asservissement à Pharaon. Mais surtout il est un dieu qui n'exige rien d'autre qu'un comportement moral, c'est-à-dire une attitude d'homme libre. Et il n'offre pas aux hommes une justification de leurs malheurs par le surnaturel ni un apaisement de leurs souffrances par le sacrifice d'un bouc émissaire ou par la magie, expédient commode pour des esprits immatures et irresponsables.
Dieu est donc de plus en plus désincarné, abstrait, si l'on ne craint pas de commettre un anachronisme. Le Juif ne peut pas tutoyer la nature comme le font les autres peuples. Car Dieu ne réside pas en elle.

L'invention de la transcendance on la retrouve peut-être dans le culte du disque solaire Aton, imposé par le pharaon Aménophis IV, autoproclamé "Akkhénaton" (déservant d'Aton). Le fameux psaume 104 semble être une simple recopie d'un hymne en l'honneur d'Aton : "les lions sortent de leurs antres [...]. Puis la terre s'éclaire quand tu t'es levé à l'horizon [...]. Les hommes se dressent sur leurs pieds [...] puis la terre entière vaque à ses travaux."
Tout comme le dieu Aton qui incarne des valeurs abstraites, une idée de la justice, une loi, Yahvé est le défenseur d'une morale : c'est moins devant lui qu'il faut se prosterner que sa loi à laquelle il faut obéir. Il refuse même les prosternations ; la seule façon de le servir est d'observer sa loi.
Prête l'oreille à la loi de notre Dieu, peuple de Gomorrhe!
Qu'ai-je affaire de la multitude de vos sacrifices? dit l'Eternel. Je suis rassasié des holocaustes de béliers et de la graisse des veaux; Je ne prends point plaisir au sang des taureaux, des brebis et des boucs.
Quand vous venez vous présenter devant moi, Qui vous demande de souiller mes parvis?
Cessez d'apporter de vaines offrandes: J'ai en horreur l'encens,
Les nouvelles lunes, les sabbats et les assemblées; Je ne puis voir le crime s'associer aux solennités. Mon âme hait vos nouvelles lunes et vos fêtes; Elles me sont à charge; Je suis las de les supporter.
Quand vous étendez vos mains, je détourne de vous mes yeux; Quand vous multipliez les prières, je n'écoute pas:
Vos mains sont pleines de sang. (Isaïe 1,10-15)
(traduction Louis Segond)

Au verset 13, Chouraqui traduit en plus :
De la lunaison, du shabat, de la vocation criée, je n'en peux plus, fraude et férie !
Pour illustrer encore l'assertion selon laquelle le dieu des Juifs change de nature au fur et à mesure de l'évolution de la religion, on peut relire les psaumes. Leur rédaction s'est étalée sur près de cinq siècles. Le dieu qu'ils louangent n'est pas le même dans tous.
Plus encore, on sait aujourd'hui que les psaumes qui font allusion à un dieu-force de la nature ne s'adressent pas à Yahvé. Par exemple, le psaume 29 est un hymne louangeant un dieu de la fertilité et de l'eau. Beaucoup de théologiens s'accordent pour dire qu'il s'agissait à l'origine d'une ode à Baal-Hadad, le dieu canaanite de l'orage et de la pluie. Les scribes juifs auraient simplement remplacé par "Yahvé" le nom de la divinité païenne.
De même, le dieu qui au début des écrits instaure une liturgie précise et compassée n'est plus tout à fait le même que celui qui vomit le formalisme du culte et les montées sacrificielles empestant l'hypocrisie. [sommaire]









Jésus de Nazareth, roi solaire

Les évangiles canoniques relatent la naissance de Jésus de Nazareth comme celle d'un roi. Ce que, tout au long de sa vie, l'intéressé a toujours dénié être.
Mais ce sont surtout les apocryphes qui font de la naissance de Jésus un épisode mythologique. Ces récits peuvent être abordés comme de simples développements fantaisistes des épisodes que les canoniques ne font qu'évoquer de manière elliptique.
Ils sont en effet autant de digressions dans les zones d'ombres laissées par les évangiles ; on peut y voir de naïves fabulations destinées à stupéfier le chaland. De fait, la relation de la naissance de Jésus par les Evangiles apocryphes est mu par le projet plus marqué encore que dans les canoniques de la conversion des âmes, de propagande religieuse. Le récit est d'une intensité dramatique moindre que dans ces derniers. Néanmoins, il puise à des sources mythiques plus anciennes que le judaïsme lui-même : le récit de la naissance dans la grotte de Bethléem présente des analogies étonnantes avec des récits du zoroastrisme, du mithraïsme, et avec certains mythes grecs. Ils ont pour caractéristique d'avoir tous trait à une grotte primordiale où l'enfant-roi est caché, à une théophanie lumineuse et à un nourrisson déjà bien avancé.
  La grotte primordiale, d'abord, est le lieu où l'on dissimule l'enfant Zeus afin de le protéger des intentions cannibales de son père Cronos. Dans l'imagerie chrétienne, la grotte est introduite par le Protévangile de Jacques ; elle est le lieu où Marie cache sa pudeur pour accoucher.
Les récits mythiques de la naissance d'enfants-rois relatent ensuite souvent une théophanie lumineuse où c'est l'enfant lui-même qui irradie la lumière. C'est le cas de Zarathoustra, qui illumine tout le village alors qu'il est encore in utero. La lumière éblouit la grotte native de Mithra de même qu'elle le fait dans le cas de Jésus :
[...] la nuée se retira de la grotte et une grande lumière resplendit à l'intérieur, que nos yeux ne pouvaient supporter. Et peu à peu cette lumière s'adoucit pour laisser apparaître un petit enfant. (Protévangile de Jacques)
On retrouve aussi dans ces mythes la présence d'une étoile qui vient stationner au-dessus de la tête du nourrisson.
Et voici, l'astre qu'ils avaient vu en Orient les conduisit jusqu'à ce qui fussent arrivés à la grotte, et au-dessus de la tête de l'enfant, il s'arrêta. (idem)
Il est intéressant de noter qu'une version non sanskrit du bouddhisme rapporte un événement étrangement similaire. Les dieux, en quête de conseil, rendent visite à Bouddha. Ils vont pour cela dans la grotte où l'ascète poursuit son existence méditative. Or, ils sont accueillis par un lumière aveuglante qui emplit la caverne et, à mesure que celle-ci s'estompe, il apparaît que c'est du sage lui-même qu'elle émane.
Il est donc autorisé de penser que les propagandistes chrétiens des premiers siècles ont eu vent et se sont inspirés de récits d'origine iranienne, nettement antérieurs, où de tels prodiges abondent. Un autre point commun tient d'ailleurs à la maturité précoce du nouveau né. Tel Zarathoustra dispensant sa sagesse dès le berceau, Jésus accueille les rois-mages avec la prestance d'un hôte et des paroles d'adulte et déjà il accomplit des miracles (guérison de Salomé). [sommaire]



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