Derrière
les obsédants débats sur la laïcité, la place de l'islam en Occident ou
la résurgence de la foi catholique, il y a, pour beaucoup d'entre nous,
la stupéfaction de constater qu'on trouve encore des croyants en
France. Pas seulement des croyants culturels, qui voient la religion
comme une vague source de sagesse existentielle, mais des déistes, des
vrais, qui estiment que Dieu existe, au même titre qu'une chaise, qu'il a
un pouvoir réel sur ses créatures et que sa parole a force de loi.
On pensait pourtant l'affaire divine réglée. La religion, avait-on appris à l'école, était un ancien opioïde frelaté, un tranquillisant social jadis fourgué à la population par le cartel clérical. Puis les forces conjuguées de la République et de la science moderne avaient démantelé le réseau et désintoxiqué le peuple. On nous avait assuré que Dieu était mort et que le monde se désenchantait. On le regrettait, quelque part. Il nous faudrait trouver de nouvelles raisons de vivre sous ces cieux vides, prix à payer pour sortir de l'obscurantisme et entrer dans l'âge métaphysique de la vérité. S'il restait quelques poches de croyance ici et là, pensait-on, c'étaient des survivances, des folklorismes ultralocaux, ou le résultat de mécanismes identitaires destinés à disparaître avec le renouvellement des générations.
Puis il a fallu se résoudre. Même en France, un des pays les plus athées du monde après la Chine et la République tchèque, où la religion était jusqu'à récemment presque totalement absente de la vie publique, une partie importante de la jeunesse s'est mise à croire en Dieu sans qu'on l'y oblige, comme si Dieu n'était jamais parti. Partout dans le monde, la division religieuse est un casus belli de premier ordre, et déclenche plus de conflits armés que la lutte des classes. Les humains, à travers les révolutions philosophiques des siècles passés, sont restés de grands croyants.
On pensait pourtant l'affaire divine réglée. La religion, avait-on appris à l'école, était un ancien opioïde frelaté, un tranquillisant social jadis fourgué à la population par le cartel clérical. Puis les forces conjuguées de la République et de la science moderne avaient démantelé le réseau et désintoxiqué le peuple. On nous avait assuré que Dieu était mort et que le monde se désenchantait. On le regrettait, quelque part. Il nous faudrait trouver de nouvelles raisons de vivre sous ces cieux vides, prix à payer pour sortir de l'obscurantisme et entrer dans l'âge métaphysique de la vérité. S'il restait quelques poches de croyance ici et là, pensait-on, c'étaient des survivances, des folklorismes ultralocaux, ou le résultat de mécanismes identitaires destinés à disparaître avec le renouvellement des générations.
Puis il a fallu se résoudre. Même en France, un des pays les plus athées du monde après la Chine et la République tchèque, où la religion était jusqu'à récemment presque totalement absente de la vie publique, une partie importante de la jeunesse s'est mise à croire en Dieu sans qu'on l'y oblige, comme si Dieu n'était jamais parti. Partout dans le monde, la division religieuse est un casus belli de premier ordre, et déclenche plus de conflits armés que la lutte des classes. Les humains, à travers les révolutions philosophiques des siècles passés, sont restés de grands croyants.
Qui sont les dieux ?
De grands fabricants de dieux, devrait-on dire. C'est la leçon du «Dictionnaire universel des dieux, déesses et démons» qui vient de paraître aux éditions du Seuil. Sous la direction de l'essayiste et journaliste Patrick Jean-Baptiste, spécialiste du monde hébreu, soixante-dix auteurs (historiens, archéologues, ethnologues) ont compilé tout ce en quoi les hommes ont cru. Du moins ce qui a laissé une trace, puisque, prévient l'ouvrage, «personne ne sait précisément combien d'êtres surnaturels l'humanité a inventés ou côtoyés au cours de son histoire».A circuler dans cette gigantesque «réserve surnaturelle», comme l'écrit joliment Patrick Jean-Baptiste, on prend conscience que les dieux sont parmi nous, qu'on croie en eux ou pas. Reste à définir ce qu'ils sont. Ce «Dictionnaire» propose quelques éléments minimaux. Les divinités «appartiennent à la catégorie des êtres vivants» et à la sous- catégorie des êtres surnaturels, l'être surnaturel étant défini comme «un être naturel à tous points de vue sauf au moins un».
Le dieu doit posséder une propriété contre-intuitive intrinsèque (être immortel, avoir une tête de lion, avoir existé avant la création du monde, être né d'une vierge). Il doit enfin être dépositaire d'un numen, «un pouvoir de commandement absolu et irrésistible dans [son] domaine sur les hommes et sur les choses d'ici-bas». C'est cette qualité numineuse, plus ou moins présente suivant qu'on parle du tout-puissant Dieu biblique ou d'un dieu secondaire du panthéon égyptien, qui le distingue du monstre ou du héros mythologique.
Les dieux et nous
Cette immense diversité de dieux, de déesses et de démons nous rappelle que la nature de la religion est mystérieuse. En 2001, dans son maître ouvrage, «Et l'homme créa les dieux», l'anthropologue franco-américain Pascal Boyer écrivait: «Une erreur hélas fréquente consiste à expliquer la religion en général par l'une des caractéristiques… de la religion qui nous est familière.»Nous avons tendance à résumer le phénomène à des concepts propres aux grands monothéismes. Nous considérons par réflexe que les dieux ont pour fonction d'expliquer les phénomènes naturels, de raconter l'origine du monde ou d'apaiser notre souffrance de pauvres mortels. Mais beaucoup de cultes ne se préoccupent pas d'élucider le mystère de la création. L'anthropologue Roger Keesing notait par exemple que les mythes kwaios, dans les îles Salomon, n'abordent jamais la question de «l'origine ultime de l'homme». Pour les Fangs, au Cameroun, le monde est infesté d'agents malveillants et la balance entre le bien et le mal «penche du mauvais côté», dit Pascal Boyer, ce qui n'est pas particulièrement apaisant.
Enormément de religions ne promettent ni salut ni délivrance après la mort, ou n'impliquent pas d'avoir la foi. Les créatures divines ne sont pas toutes omniscientes, ni même toujours très intelligentes. Certains démons sibériens, par exemple, ne comprennent pas les métaphores, et il suffit pour les berner d'utiliser des ruses de langage enfantines. Beaucoup de dieux, en Afrique notamment, n'ont aucune influence sur la vie quotidienne. Et on ne parle pas des êtres surnaturels plus saugrenus, comme ces esprits assoiffés d'eau de Cologne qui hantent Mayotte ou ces ébéniers africains qui se souviennent des conversations tenues sous leurs branches, mais qui ne peuvent les répéter à personne.
Pourquoi l'humanité passe-t-elle son temps à inventer des entités surnaturelles et à leur prêter un rôle aussi crucial ? Une explication a été apportée par un courant récent des sciences humaines, marqué par le cognitivisme. Pour les cognitivistes, notre esprit n'est pas une page blanche qui s'emplit peu à peu par l'éducation, tantôt d'intelligence et de raison, tantôt de superstition, mais un organe hérité de l'évolution, structuré dès la naissance, déterminé dans son fonctionnement comme dans sa production. Aussi, s'il produit des dieux, c'est qu'il est construit de manière à les produire.
Beaucoup d'hypothèses sont avancées, qui ont le mlérite d'expliquer cette constance qu'ont les humains à inventer du surhumain. Pour l'Américaine Tanya Luhrmann, anthropologue à Stanford, parce que l'homme a longtemps dû fuir les prédateurs, la sélection naturelle a favorisé chez nous la capacité à percevoir des présences et des agents intentionnels autour de nous, à tel point que nous en créons même quand il n'y en a pas. Pour Pascal Boyer, nous produisons sans cesse des idées potentiellement religieuses (la plus commune étant de prêter des intentions ou des qualités humaines à des objets inanimés), qui disparaissent aussitôt pour la plupart, mais dont les plus efficaces se propagent, à la manière de virus culturels, parfois jusqu'à donner naissance à des civilisations entières.
Si l'esprit humain produit des dieux comme la gorge produit des sons, il faut accepter que tant qu'il y aura des hommes, il y aura des dieux. Et il semble naïf de penser que ces puissantes créatures, qui délimitent les communautés humaines depuis qu'il y en a, pourront être reléguées au rang de simples fantaisies intimes. Or beaucoup de discours laïcs semble reposer sur l'idée que la religion est une passion mineure, optionnelle, et que son expression publique est par principe un scandale. La fameuse «laïcité combattante à la française» devrait peut-être se débarrasser de la certitude que nous nous dirigeons vers un monde sans dieux, monde qui n'a jamais existé.
David Caviglioli
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